ADRIATICO
de Mattia Lapperrier, extrait du catalogue d’expo, 2022

Dans l’imaginaire collectif, le paysage adriatique est souvent associé, de façon un peu simpliste, à une ambiance joyeuse et festive. Cependant, au-delà du vacarme des stations balnéaires bien connues de la Romagne, après Senigallia, sur la côte du sud des Marches, jusqu’à Pescara, le décor change radicale- ment. Laissant derrière elle une mondanité envahissante, une autre Adriatique apparaît peu à peu. Nous découvrons ainsi, doucement, un littoral parsemé de petites agglomérations, des étendues sablonneuses à perte de vue côtoyant des lieux presque abandonnés, des traces de l’Orient, notamment dans l’archi- tecture, témoignant de liens anciens avec Venise. Il s’agit de lieux frontaliers entre l’Orient et l’Occident. Des lieux brûlés par le sel, plongés pendant la plus grande partie de l’année dans un silence étrange, mais qui sauvegardent en même temps l’héritage des civilisations anciennes qui s’y sont succédé le long des siècles. Des lieux qui, n’ayant jamais connu le tourisme de masse, ont tendance à rester inchangés, habités et fréquentés principalement par des autochtones qui les reconnaissent et s’y reconnaissent.

Giorgio Petracci, né à Fermo, à quelques kilomètres de la côte, a vécu dans l’intimité du littoral adriatique jusqu’à l’âge de 18 ans. Malgré son départ, d’abord à Bologne et ensuite à Paris, où il vit et travaille actu- ellement, son lien profond avec ces lieux ne s’est jamais démenti; il y retourne régulièrement pour renouer avec ses racines, et, comme s’il en voulait en prélever un peu pour lui, il prend des photos du littoral. Ce tronçon de front de mer ne représente pas seulement pour l’artiste le lieu où il est né et a grandi, il incarne, plus profondément, un bassin culturel précieux et authentique, fidèle à lui-même et ayant échappé à l’uni- formité et au lissage qui sévissent depuis quelques décennies, et qui ont fait des sites touristiques les plus fréquentés le miroir d’une société de consommation autoréférentielle. Comme le dit l’artiste lui-même à propos de ce territoire: “c’est comme si la population locale avait préservé ces lieux pour s’offrir le luxe de respirer”.

Les photographies de Petracci immortalisent des paysages côtiers, s’attardent sur des bâtiments, des ba- teaux, sur le linge qui sèche au soleil ou sur de petits détails modestes dans leur simplicité mais incroy- ablement évocateurs, tous bercés par le même vent qui insuffle à l’artiste un agréable sentiment d’apparte- nance. Les photographies ou les courtes vidéos enregistrées sur place lui permettent, une fois de retour dans son atelier parisien, de revivre ces moments, les retravaillant dans la mémoire. Ses œuvres naissent de ces suggestions, non comme une simple transposition du langage photographique vers le pictural, mais comme une évocation d’un état, d’une émotion. Ses compositions abstraites, bien qu’étroitement liées aux photos, révèlent la volonté d’aller au-delà de l’image elle-même, vers une dimension plus intime et insond- able; la mémoire y est liée aux sens et, à travers des formes organiques ou minérales et une couleur tantôt ténue, tantôt plus vive, elle s’offre au regard dans tout son éclat. La recherche de la liberté de composition va de pair avec le choix du support.

Pour cette raison, le bois, non seulement comme support pour les sculptures, mais aussi pour la peinture, correspond mieux que d’autres matières aux besoins de l’artiste. Auprès de son grand-père ébéniste, Gi- orgio Petracci a été formé depuis l’enfance au travail du bois. Le bois n’est pas seulement le support de l’intervention picturale ; il devient, sous la forme d’un éclat, l’outil qui incise ce support ou, en tant que surface polie, il est aussi l’instrument qui permet de poser la couleur. Il s’agit d’une matière vivante entre les mains de l’artiste qui, séduit par ses qualités tactiles, le préfère à la grille géométrique imposée par la toile, et en fait un écran uniforme sur lequel il peut projeter son intériorité.

Les œuvres de Giorgio Petracci sont des passages par lesquels on pénètre dans son monde intérieur. Le paysage de l’Adriatique devient ainsi un véhicule qui permet d’exprimer les mouvements de l’âme; l’his- toire collective du lieu, carrefour de cultures et de mémoires brassées par la mer, se mêle inextricablement à celle personnelle de l’artiste.

A propos de l’exposition « Adriatico », Giorgio Petracci, mars 2022 / de Domenico Caiati – 2022

L’Adriatique n’est pas seulement une mer : c’est un nom évocateur, chargé de sens, comme une mémoire ondoyante des échanges entre l’Orient et l’Occident. Mer fermée et peu profonde, l’Adriatique a longtemps été appelée golfe de Venise, comme si elle était un prolongement de la Méditerranée glissé entre les terres gravitant autour de la Sérénissime. A partir des côtes italiennes et dalmates, depuis l’époque classique, l’art a été le premier instrument de diffusion de la culture qui est à la base de l’Europe, dans le sillage des routes commerciales de marchandises de toutes sortes.

Venise n’est pas imaginable sans l’Adriatique.

Entre la fin de la période gothique et la Renaissance, des deux côtés de la mer, l’art a emprunté pour son développement les mêmes styles : le langage parlé par les images est devenu un terrain commun bercé par les vagues de l’Adriatique.
Entre le XIVe et le XVe siècle, des artistes vénitiens, Carlo Crivelli, Jacobello Del Fiore, Bartolomeo et Antonio Vivarini, puis Giovanni Bellini, ont créé des œuvres pour des villes de la région des Marches et des Pouilles, mais aussi pour les villes de la côte dalmate. L’Adriatique a ainsi été, pendant longtemps, une sorte de grand golfe, Venise étant le centre de diffusion de la culture, et les autres villes côtières des récepteurs éclairés.

Mais l’Adriatique ne peut se borner aux seuls liens artistiques, pour emblématiques qu’ils soient : c’est aussi de la poésie, ce sont des mots enfouis.

Dans son Bréviaire méditerranéen, Pedrag Matvejevic écrit : « L’Atlantique et le Pacifique sont les mers de la distance, la Méditerranée est la mer de la proximité, l’Adriatique est la mer de l’intimité ».
Intimité a ici un double sens : rencontre intime et confidentielle, mais aussi fermeture sur soi, sur sa propre identité, ses convictions et sa sensibilité. La double lecture est inhérente au regard tourné vers une mer qui peut sembler courte entre les deux rives, mais qui, si notre regard est inversé, permet de s’ouvrir à un nombre infini de lectures et à la connaissance de l’Autre, à la diversité de nuances culturelles que la mer reflète.

La Méditerranée, et l’Adriatique en particulier, n’a jamais été seulement l’Europe : elle a été ouverture et contradictions.

Comprise dans son essence, l’Adriatique peut être un système, un carrefour comme ce grand corps – la Méditerranée – dont elle n’est qu’un membre : elle peut devenir une voie de circulation pour les peuples et les cultures, car aucune mer ne peut être comprise d’un point de vue exclusivement politique ou géographique.

Et encore : c’est la mer dont la richesse découle du dialogue entre les périphéries et les centres, entre l’intérieur et le littoral. C’est le corps étendu des villes de l’Adriatique.
« Non pas une civilisation, mais une série de civilisations » (Fernand Braudel).

Avec Giorgio Petracci, l’Adriatique, autrefois synonyme d’or byzantin, devient une mémoire évanescente, laiteuse, floue, et en même temps dense et concrète à nos yeux ; une mer qui garde le regard et l’empreinte humaine, mais dans laquelle le corps de l’homme n’apparaît pas, rappelant ainsi le travail photographique de Luigi Ghirri.

Dans les œuvres de Giorgio Petracci, la mer n’est pas seulement elle-même : au-delà du bleu, elle exprime différentes couleurs et nuances ; elle est aussi terre, car elle se manifeste également dans les territoires intérieurs et dans des cultures qui ne sont pas exclusivement maritimes ; c’est une mer qui accueille une diversité de regards et de points de vue, une mer plurielle et pleine de valeurs symboliques.

Ceux qui ont connu la mer, et qui s’en sont éloignés, ont sans doute bénéficié d’une formation de l’âme privilégiée. Ce n’est pas un hasard si la mer a toujours été au centre de romans d’apprentissage et de formation, de l’Odyssée d’Homère à La ligne d’ombre de Conrad.
Et c’est aussi le lieu où nous perdons notre âme et notre identité, le lieu où l’Europe rejette l’Autre, celui qui est différent, et se retranche dans les certitudes résiduelles et bancales d’une richesse malade.

Umberto Saba, dans son poème Ulysse, écrit : « J’ai navigué dans ma jeunesse/ Le long des côtes dalmates […] Aujourd’hui, mon royaume/ est cette terre de personne. Le port/ pour d’autres allume ses feux ; l’esprit/ Indompté me pousse encore au large,/ Et de la vie le douloureux amour ».

Devant les œuvres de Petracci, on se perd dans le brouillard maritime, également appelé caligo, fréquent surtout à l’aube, avant que la réalité et les décisions ne prennent forme. Le brouillard, amené sur le littoral par les brises, libère cette odeur envoûtante de la mer.
Nous pourrions regarder les œuvres de Giorgio Petracci dans l’optique de Matvejevic, qui suggère de choisir un point de départ, qu’il s’agisse d’un rivage ou d’un port, pour commencer le voyage ; une fois que l’on est parti, cet endroit importe de moins en moins ; l’important, c’est le lieu où l’on arrive, ce que l’on aura vu et comment on l’aura vu de nos propres yeux. L’Adriatique reste la même, c’est nous qui changeons.

Par temps clair, lorsque l’horizon est dégagé, depuis la ville de Fermo, dans la région des Marches, où est né Giorgio Petracci, il est possible d’apercevoir l’autre rive de l’Adriatique, la Croatie. C’est un symbole : la vision de l’Autre ne peut advenir que lorsque le regard n’est pas aveuglé par des barrières. C’est peut-être rare, mais ces jours-là, tout devient plus clair et les liens qui nous unissent dépassent les frontières mentales et physiques.

Domenico Caiati

Sur la peinture de GIORGIO PETRACCI, de Francesco Spampinato 2017

Si, dans notre civilisation de l’image hyper-saturée, la peinture obéit encore à une logique qui en légitime la pratique et l’existence, c’est bien sa capacité à rompre la représentation, à fissurer la surface LCD glissante derrière laquelle la réalité se forme et agit. Même imperceptible, cette fissure aurait des effets durables et ravageurs, vouée qu’elle est à s’élargir toujours d’avantage. C’est précisément autour de cette idée de fissure que Giorgio Petracci- peintre, designer, artisan de l’abstraction, développe ses recherches depuis plusieurs années. Des fissures, ses fissures, qui ouvrent sur des espaces aussi bien matériels qu’imaginaires.

La fissure de la plaie dans la chair, la fissure dans l’atmosphère qui entoure le globe terrestre, la fissure sur l’écran d’un smartphone, la fissure dans l’enceinte extérieure d’un bâtiment, qui ne permet pas de voir l’intérieur mais enveloppe le spectateur dans un autre espace-temps. Ainsi la peinture en tant que système de vision devient-elle un outil à apprécier la relation entre le corps humain, le cosmos et la psyché, où la plaie sanglante est l’équivalent d’une explosion galactique, mais seulement dans la mesure où le cerveau peut la déchiffrer comme telle. Après cela, il n’y a que le vide.

Après avoir naïvement confié la représentation aux technologies numériques, et puisque nous ne sommes plus capables de dépeindre le réel à main levée, c’est comme si celui ci revenait sur ses pas, sur les diverse phases à cristaux liquides, et se décomposait sous nos yeux- une sorte de big-bang à rebours : de l’image haute définition qui peut être agrandie en écartant l’index et le pouce, jusqu’aux origines de l’univers, quand l’espace était traversé d’ondes gravitationnelles invisibles, pareilles à celles qui semblent pousser la matière de Giorgio Petracci hors de la toile, atteignant le spectateur et transformant lentement la réalité alentour en vide.

BIO

Depuis son enfance, Giorgio Petracci utilise la peinture, ainsi que la sculpture sur bois, auprès de son grand père
ébéniste, comme moyens d’expressions artistiques. Après une longue expérience professionnelle en architecture intérieure puis dans le domaine de la création et la réalisation de mobilier sur mesure, Giorgio Petracci se consacre pleinement à la peinture et à la sculpture à partir de 2015.
Son matériau de prédilection est le bois. Le bois sculpté dans sa verticalité, réminiscence de son état naturel, le bois support de sa matière peinte, diluée, superposée.

Dans ses deux disciplines, son œuvre nous renvoie à un paysage minéral et organique en lente mutation. Les points de rupture et d’équilibre sont omniprésents, révélant des fenêtres sur des paysages intemporels. Ces figures abstraites, aux contours mouvants, semblent habitées par une vie
qui leur est propre, bousculent les échelles, laissant libre cours à notre imagination. Giorgio Petracci cherche à capter l’impermanence de la vie, à saisir le temps, facteur inéluctable d’une transformation lente des éléments de la nature.

Expos:

2023 – « Interludes » / Group Show / The Prairie –  USA / 15 Juin – 15 Juillet

2022 – « Geometrie variable » / Isis Expo / Paris / 13 Septembre – 18 septembre

2022 – « Tender Meeting » / The Prairie / USA / 18 Juin – 25 Juillet

2022 – « ADRIATICO » / Le Sentiment des choses / Exposition personnelle / 17 mars – 17 avril / Paris

2021 – 2bnoprofit – Dotfiftyone Gallery / Miami, Floride

2021 – Le Sentiment des choses / 5, rue Debelleyme Paris

2020 – « En absence de gravité » Exposition personnelle / Galerie de l’Oeil vert / à partir du 5 septembre / Paris

2020 – « Ce qui se fit » Exposition collective / Galerie Grès / 8 rue du Pont Louis-Philippe / Paris

2020 – Les Sentiments des choses / 5, rue Debelleyme Paris /

2020 – Galerie Grès / « Etre pluriels » / Paris /

2019 – Curieuse Galerie « Variations hivernales » / Paris/ du 16 novembre au 28 décembre

2019 – Artiste invité / Pôle artistique « La Fonderie » / Fontenay-sous-Bois / France – du 24 au 26 mai

2019 – « Antipodes » – Curieuse Galerie, 25 rue de Chanzy – 75011 Paris – du 26 Mai au 6 juillet 2019

2019 – « Solid State » –  Modern Shapes Gallery – Antwerp, Belgique

2019 –  » Les Hivernales » – Galerie Grès, 9 rue du Pont Louis Philippe – 75004 Paris – du 24 janvier au 14 février

2019  – « Fibres » – Galerie atelier l’Oeil Vert, 12 rue Léopold Bellan – 75002 Paris – du 12 janvier au 16 février

2018 – Galerie Grès / Paris / France

2018 – « Traversés » – Curieuse Galerie  / Paris /France

2017 – Le Génie en liberté (Curieuse Galerie) / Paris /France

2017 – « Traces » – Curieuse Galerie / Paris / France

2011 – Galerie Fin d’avril / Paris / France

2002 – Ap-Art Gallery / London / UK

2001 – ArtBank Gallery / London / UK

1997 – Galleria Xy  / Bologna / Italy

1996 – Galleria Xy  / Bologna / Italy

Prix:

2021 – SNBA (Salon National des Beaux Arts) – Premier dans la categorie peinture / Paris